Aurélien

Aurélien était toujours parfaitement coiffé avec sa petite raie sur le côté. Il portait toujours une tenue coordonnée et très classe. Le plus souvent, il portait ses mocassins vernis, blanc et noir. Aurélien, sans le savoir, était raccord avec le style 16ème arrondissement, bien que je l’avais rencontré dans le 15ème. A ce moment-là, il avait 18 mois. Sa maman avait décidé de faire un bébé toute seule. Et à cette époque, à part dans la chanson de Goldman, c’était plutôt rare. Suffisamment pour que le personnel en crèche où j’effectuais mon premier stage en tant que future éducatrice de jeunes enfants le souligne, bien trop souvent à mon goût. Et quand elles ne parlaient pas de ça, elles jugeaient cette maman qui accordait une grande importance aux tenues de son enfant, en demandant expressément de le changer intégralement pour qu’il porte toujours une tenue assortie de la tête au pied. Comme si tout ça, ça pouvait définir Aurélien.

Bref !

Aurélien n’était pas un petit ange, malgré son visage poupin. Il était le premier à bousculer l’autre, à ne pas écouter la consigne, à n’en faire qu’à sa tête. Et moi, j’ai toujours eu un faible pour ces gamins-là. Peut-être parce que sans le savoir, je sentais qu’à travers un tel comportement, il y a avait une demande, une demande d’amour, de reconnaissance, d’être vu pour ce qu’il était et non ce qu’il portait, ce qu’il faisait.

Un jour, comme un autre, Aurélien a transgressé l’une des règle. Je ne sais plus laquelle… Et l’auxiliaire l’a attrapé pour le mettre en prison. La prison en crèche, c’est mettre l’enfant sous un lit à barreau qui est en hauteur pour préserver le dos du personnel. Quand on abaisse les barreaux, cela fait comme une petite maison en-dessous du lit. Sauf que les barreaux font plus penser à une prison, surtout quand on y met un enfant de 18 mois pour le punir. Choquée, j’en ai parlé à la personne de mon école qui supervisait mon stage. On m’a gentiment fait comprendre que ce n’était pas mon rôle, que je n’avais rien à dire.

Silence donc.

Fermer les yeux sur cette violence institutionnelle, violence physique et morale, violence quotidienne.

Fermer les yeux et ne rien dire pour ne pas faire de vague. Quelle vague ?
Je n’ai pas compris, et pourtant je me suis exécutée (joli jeu de mot, nan ?). La seule chose que j’ai pu faire, à mon niveau, ce fût d’être attentionnée, présente pour Aurélien jusqu’à la fin de mon stage, pour lui éviter de faire des vagues, quand je ne les ai pas couvertes. Il aura eu ce petit moment de répit.

Parfois, nous aurions aimé mieux faire, et pourtant nous avons fait de notre mieux.

Texte & photo © Nadège Depresle

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